Sandrine Bascoul travaille à Aubervilliers et voit les familles rroms qui vivent dans des cabanes chaque jour.
Romenons nous dans les bois
le printemps s'est levé
il s'est étiré, a regardé par la fenêtre
et il a soudain entendu : on criait
il s'est approché, a regardé de plus près
dans le pré, il y avait un bébé
il hurlait
tous ses petits membres gigotaient
une jeune femme est arrivée
tranquillement l'a soulevé,
s'est assise sur un vieille chaise décatie
a soulevé son pull, a sorti son sein rond et plein
et a glissé son mamelon prestement
dans la bouche du bébé
qui s'est arrêté de crier.
goulument, il buvait
on entendait « gloups, gloups »
tandis que sa maman lui souriait
à y regarder de plus près,
ce n'était pas un pré mais un carré de verdure
juste à côté d'où roulent les voitures
ça sentait le gaz oil, l'essence
à côté d'eux, il y avait une tente,
une tente igloo, comme celle de décathlon
pour faire du camping
ou encore celle avec laquelle on joue aux indiens
chez les grand-parents dans leur jardin
quand l'été s'est levé
il a regardé par la fenêtre
on criait
c'était le bébé qui avait encore faim
a y regarder de plus près
ce n'était plus vraiment un bébé
on aurait dit un petit enfant
et ce n'était pas encore une femme, sa maman,
une femme adulte comme on entend
mais une toute jeune fille
elle devait avoir quinze ans
elle lui donnait le sein
tandis que de l'autre main
elle fumait tranquillement
à côté d'eux, il y avait une cabane
une cabane en carton ou alors en bois
ou alors les deux
elle avait une porte
ça voulait dire qu'on pouvait entrer et sortir
et elle avait aussi un toit
c'était rigolo cette cabane en plein milieu des voitures
quand l'automne s'est levé
c'était un automne tout doux
comme un été indien
il a regardé par la fenêtre
on criait
des cris d'enfant :
il était assis dans l'herbe et
pendant qu'il appelait
il jouait,
jouait à tirer sur sa chaussette
trouée, tandis qu'un homme à côté
réparait une bicyclette toute cabossée.
la jeune fille sortit de la maisonnette
avec, au bec, une cigarette
nonchalamment souleva l'enfant de terre
s'assit sur un cageot muni d'un coussin
porta l'enfant à son sein
et ainsi le fit taire
tout en caressant son front blond
et en lui susurrant des mots doux
que l'automne ne comprit pas
quand l'enfant eut fini de téter
elle l'assit sur le petit camion
que l'homme d'à côté avait réparé
et ainsi le poussa , le tira
ils riaient ensemble
et encore le poussa, le tira
et ainsi le berça, le berça
puis il s'endormit
et elle le prit dans ses bras
a côté d'eux, il y avait une maisonnette
elle était rigolote, comme celle que construisent les enfants
dans les jardins ou les bois
c'était une cabane améliorée faite de cageots
de toile de tente, de plastic épais et de boite en carton
il y avait même des bicyclettes pour les enfants,
le guidon dans l'herbe et les pédales au vent
quand l'hiver s'est réveillé ,
il s'est étiré
(fichtre, tout ce bruit ! )
et il a regardé par la fenêtre
on criait
c'était l'enfant probablement
qui voulait son lait
il criait fort
et on entendait aussi des cris étouffés
il y avait maintenant de la fumée
qui sortait de la maisonnette
on aurait dit la maison des sept nains,
ou encore celle de la grand-mère du chaperon rouge
avec sa chevillette
mais tout de même il faisait froid
et on n'y voyait presque rien
il était trop tôt,
alors l'hiver s'est recouché.
quand l'hiver s'est levé de nouveau
il a regardé par la fenêtre
on criait
mais c'étaient des grosses voix qui riaient cette fois
des uniformes qui tous se ressemblaient
à côté d'un tas de bois ;
l'un d'eux racontait une petite blague de son petit garçon
à propos du conte des trois petits cochons
dont les deux maisons s'envolaient
qu'est-ce qu'il était mignon, ce ptit-là !
au bras de ces grosses voix, une hache,
ah ils étaient bien fatigués,
dans ce froid, ils avaient bien travaillés
plus trace de maison, plus un cageot entier.
des bouches sortaient de la fumée
à leurs pieds, un petit camion d'enfant aux roues cassées
gisait
plus loin, on entendait
si l'on tendait l'oreille
des bruits de pas dans l'herbe gelée
et le silence qui pleurait.
si on s'approchait,
on sentait la fumée de cigarette qui s'éloignait;
l'enfant dormait sur le ventre de sa petite mère;
elle, une clope au bec,
clopin, clopan
un baluchon à l'épaule,
de la buée dans les yeux,
(ce devait être la fumée
qui la faisait pleurer)
clopin, clopan avançait dans la file,
à la recherche d'un bout de terre
où poser leurs affaires
un bout de verdure
même tout près des voitures.
ah certains enfants ont de la chance
parce que chaque saison , une nouvelle maison
et qui ressemblent à celles qu'on trouve dans les contes!